our avoir eu la chance (car cela en reste une) de manger dans quelques adresses célébrées par certains classements mondiaux, dont la pertinence et la méthodologie sont aussi obscures que le Vantablack, je dois reconnaître être resté parfois un peu perplexe devant mon assiette. D’un esprit relativement ouvert par nature, je ne suis pas du genre à m’accrocher à quelques illusoires idées de tradition, et fais partie de ceux qui considèrent que la cuisine doit évoluer. Cependant, le sens de cette évolution m’échappe parfois, tant il semble que l’originalité à tout prix en soit devenue l’un des principaux moteurs. Or, s’il n’y a rien de plus facile que d’être original, être bon est une autre affaire.

Envoyez les chips de peau de phoque séchée – jus lié de feuilles de bananier fermentées – macération hydro-alcoolique de fourmis en écume, ou les bouillons de laitance de saumon fumée aux herbes de l’Himalaya, cuir de kombucha et granité minute de café kopi luwak. Le n’importe quoi (qui peut accidentellement être bon, « on sait jamais, sur un malentendu, ça peut marcher », comme disait l’autre) fait le buzz, et la course à l’improbable se donne des airs savants (on pense au food pairing, mais pas seulement).

Au début des années 70, Gault et Millau faisaient bouger les lignes en proposant leurs 10 principes de la Nouvelle cuisine. Quarante ans plus tard, Nathan Myhrvold et toute la joyeuse bande de Modernist Cuisine leur rendaient hommage en proposant les 10 principes de la « nouvelle nouvelle » cuisine. Aujourd’hui, je voudrais à mon tour (et ce, en toute modestie bien sûr), proposer les principes de la « nouvelle nouvelle nouvelle » cuisine (qui, si l’on prend en considération Menon et sa nouvelle cuisine de 1742, devraient en toute rigueur s’intituler « les 10 principes de la nouvelle nouvelle nouvelle nouvelle cuisine ») :

1- Si un peu de précision et de complexité est parfois nécessaire pour tendre vers l’excellence, tu ne chercheras pas pour autant à utiliser systématiquement une balance de dealer ou à mettre au point des procédés que même la NASA n’a aucune chance de vraiment maîtriser un jour.

2- Tu éviteras les ingrédients qu’à la dixième lecture tu restes incapable d’épeler correctement.

3- Même si avoir un fin palais est une grande fierté, tu ne prétendras pas déceler, lors du choix de tes ingrédients, des nuances que la chromatographie en phase gazeuse ne peut détecter.

4- Tu accepteras parfois de faire des choses totalement banales ; mais tu les feras néanmoins avec soin.

5- Ce n’est pas parce que l’on peut faire mousser un jus de chaussette en ajoutant un peu de xanthane et en siphonnant, que c’est pour autant bien de le faire.

6- Tu chercheras à innover tout en sachant que tu n’y arriveras sans doute jamais vraiment (mais c’est normal et, surtout, il n’y a pas de honte).

7- Quand tu auras eu une idée géniale et que tu auras fait le tour du monde des shows culinaires pour la montrer, tu n’oublieras pas de prendre 5 minutes sur Google pour vérifier que 3 071 personnes ont déjà eu exactement la même idée que toi (parfois il y a plusieurs siècles). En outre, ce n’est pas parce que 3 071 personnes ont eu la même idée, que ça en fait une bonne idée.

8- Si la qualité fait la rareté, l’inverse n’est pas vrai.

9- Tu chercheras à faire bon. Beau aussi, si tu veux.

10- Si tu as pris l’habitude de te demander « comment ? », tu n’oublieras pas d’acquérir le réflexe de te demander aussi « pourquoi ? »

« La découverte d’un mets nouveau fait plus pour le bonheur du genre humain que la découverte d’une étoile », disait Brillat-Savarin. Sauf quand ces mets nouveaux ressemblent à des lanternes, a-t-on envie d’ajouter.

Christophe Lavelle
Chercheur au CNRS et au Muséum National d’Histoire Naturelle, à Paris
Formateur à l’ESPE pour les professeurs de cuisine
Co-fondateur du Food 2.0 LAB

À paraître : « Toute la chimie qu’il faut savoir pour devenir un chef ! » (Flammarion), en librairies le 3 mai 2017

La nouvelle nouvelle nouvelle nouvelle cuisine

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