es métiers de la salle ont le vent en poupe. Associations, blogs, trophées, chaînes YouTube, opérations séduction dans les lycées hôteliers, mises à l’honneur régulières dans les magazines pro. Il manque encore un Top Maître d’Hôtel à l’écran, mais ça ne devrait tarder. Valoriser le service, rénover les pratiques, en inventer de nouvelles, tout cela part d’une bonne intention : dépasser la logi(sti)que du simple portage d’assiette. Certaines habitudes que l’on voit s’installer partout depuis quelques temps me laissent cependant perplexe.

Ainsi, s’il y a un geste à la mode qui a tendance à m’horripiler, c’est bien le petit versage de sauce. On y a droit partout, tout le temps, quasi pas un repas sans que le même scénario se répète : on vous apporte l’assiette avec la matière solide soigneusement dressée, et là, le serveur / la serveuse arrive avec un petit pichet pour verser précieusement une petite pissouille de sauce pendant qu’il/elle sort son petit discours, avant de repartir avec son petit pichet vide. Ça sert à quoi ? C’est technique ? C’est spectaculaire ? C’est divertissant ? Non, juste énervant, façon « on n’a pas eu le temps de finir le boulot au passe, alors on le finit à table ». Non, mais, sérieusement ? Si la sauce mérite d’être valorisée, OK, apportez le pichet, mais un gros alors, que vous laissez sur la table (avec des cuillères, tant que vous y êtes) pour qu’on puisse y revenir autant de fois qu’on veut ! Et je passe sur le « voici une petite émulsion de… » dès que le chef a mis un coup de mixeur plongeant pour obtenir trois bulles en surface, alors que ça fait 20 ans qu’on leur dit qu’il n’y a pas de bulles dans une émulsion. Et qu’on ne me raconte pas que c’est un détail. Si on est rigoureux sur le geste, autant l’être aussi sur les dénominations.

La salle mérite mieux. Vous voulez innover ? Alors, allez-y franchement, faites voler des ballons à l’hélium ou assemblez le dessert à même la table (comme chez Grant Achatz*), bref, jouez à fond la carte spectacle. Mais vous n’êtes pas obligés non plus. Mon meilleur souvenir de restaurant ? C’était il y a 18 ans, chez Taillevent, du temps de Michel del Burgo (paix à son âme). La cuisine était top, mais c’est avant tout l’accueil qui a fait de ce dîner un moment d’exception. Nous étions quatre jeunes (si, si) clients pas très à l’aise, attablés pour la première fois dans un tel temple de la gastronomie, conscients d’y lâcher en une soirée un quart de notre salaire mensuel. Soucieux de tester un large éventail de la cuisine du chef, nous avions choisi à la carte, avec la ferme intention de goûter (discrètement, bien entendu) aux assiettes des uns et des autres. Nous avons été tellement discrets qu’un serveur est venu installer, entre chacune de nos assiettes, une assiette vide chaude, pour faciliter les échanges périlleux, « car c’est bien normal de vouloir goûter à tout ». Sur le fromage, le sommelier nous a apporté quatre verres de vin muté, « car votre bouteille est malheureusement finie, mais on ne va quand même pas vous laisser boire de l’eau avec votre fromage ». En fin de repas, nous avons plaisanté (à mi-voix) sur l’absence de coulant au chocolat à la carte (Michel Bras avait fait des émules, son coulant commençait à être à la mode). Ça n’a pas raté : en apportant nos 4 desserts, le maître d’hôtel a déposé en plus, avec un petit sourire en coin, deux coulants au chocolat préparés spécialement pour nous à la minute. Et ils étaient divins.

Pas de grand discours, pas de grand geste technique, et, surtout, pas de petit versage de sauce, non, juste une succession d’attentions aussi bienveillantes que discrètes, procurant cette merveilleuse sensation d’être tout simplement bien, et ce petit côté flatteur de se sentir (naïvement, bien sûr) des clients privilégiés. Bref, un service d’une sobriété redoutablement efficace, dans ce qu’il a de plus essentiel, de plus noble.

Alors, avec un peu de retard, merci, monsieur Vrinat**. Je ne sais pas si, dans la maison que vous occupez maintenant depuis quelques temps, le fils du patron fait encore le malin en changeant l’eau en vin tous les soirs, mais quelque chose me dit qu’on doit toujours être bien accueilli. Et c’est ça qui compte.

 

Christophe Lavelle
Chercheur au CNRS et au Muséum National d’Histoire Naturelle, à Paris
Formateur à l’ESPE pour les professeurs de cuisine
Co-fondateur du Food 2.0 LAB
Dernier livre paru : « Toute la chimie qu’il faut savoir pour devenir un chef ! » (Flammarion)

 

*Chef du restaurant Alinea (3 étoiles au Guide Michelin), à Chicago
**Jean-Claude Vrinat, propriétaire et maître d’hôtel du Taillevent, décédé en 2008, fils d’André Vrinat, créateur du restaurant en 1946

Salle combl(é)e

Un commentaire

  • ericjambon
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    A ce petit jeu, il y en a des trucs qui n’ont pas de sens… qui peut m’expliquer l’assiette d’attente ? la fourchette à poisson ? et ne parlons pas de la pelle à poisson ! et que dire des découpes en salle ? si ça c’est pas le cuisinier qui n’a pas fini son boulot pour le refourguer à la salle ? Et les fleurs au milieu de la table mais allo ? elles se mangent les fleurs ou quoi ? le pain entier même pas tranché ? et le pain tranché pas comme le client le voudrait ? bref on peut pinailler pendant des heures sur les micro agacements on en trouvera autant que l’on veut si tenté que l’on soit de mauvaise humeur …

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