Julien Machet, chef Propriétaire, Le Farçon, 1 étoile

Julien Machet

« Pour moi, le Beaufort c’est une affaire de famille. Mon cousin, Gaël Machet est à l’origine ce de produit d’exception issu de notre vallée, que je travaille à chaque service et qu’attendent mes clients en venant manger chez moi. »

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Jean Sulpice

« Pour valoriser un produit, la plus belle manière à mon sens est simplement de l’observer dans son environnement, de connaître son histoire et de ne jamais chercher à contrarier la nature. »

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Laurent Petit

« Je travaille uniquement avec des ressources issues d’un rayon d’une centaine de kilomètres autour du restaurant. Je suis un locavore assumé qui veut proposer une cuisine qui ressemble à mon éthique avant tout. »

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Trois chefs, trois produits

À une époque où être locavore est une implication significative dans la vie des cuisiniers. À l’heure où ils font de plus en plus la différence entre cuisine et restauration. Au moment où l’éducation des papilles et l’éveil des consciences collectives deviennent des préoccupations de première importance, au coeur même de l’assiette, nous sommes allés à la rencontre de trois chefs étoilés, au sommet de leur art, au sens propre comme au sens figuré. Julien Machet, Jean Sulpice, Laurent Petit. Des figures de la gastronomie dont le point commun n’est pas seulement de mener à bien une cuisine étoilée dans les Alpes, été comme hiver. Ce sont aussi d’authentiques passionnés des produits de là où ils vivent et travaillent. Tout commence chez eux par l’envie de sublimer les fruits de leur territoire, de mettre en valeur un patrimoine riche d’une grande et de petites histoires, d’humanité, et bien sûr de saveurs.

Textes : Julie Garnier
Photos : Alban Couturier/Bruit de Table

La Cuisine du Beaufort
[Julien Machet, restaurant Le Farçon*, La Tania]

« Pour moi, le Beaufort c’est une affaire de famille. Mon cousin, Gaël Machet est à l’origine ce de produit d’exception issu de notre vallée, que je travaille à chaque service et qu’attendent mes clients en venant manger chez moi. »

Selon Julien Machet, replacer les choses dans leur contexte est important : pour celui qui passe à table, c’est être à la montagne et avoir envie de consommer un fromage local, de goûter à la munificence de la nature qui l’entoure, dans un plat qui doit marquer les papilles et la mémoire, plus encore que flatter les yeux. La tâche du cuisinier est donc ici de surprendre avec un produit traditionnel, qui peut être décliné sous plusieurs formes, et anobli. Chez Julien Machet, le Beaufort n’est donc pas uniquement servi à la fin du repas, mais compte au contraire comme un ingrédient à part entière dont il ne saurait se passer. L’envie du chef est de donner un plaisir authentique à la dégustation et de raconter un peu de l’histoire de ce « prince des Gruyères », comme le surnommait Brillat-Savarin.  « J’aime la matière, le lait qui fige, la magie du produit vivant dont la maîtrise à la perfection est compliquée. Les saveurs qui changent au gré du temps de l’affinage, et le mécanisme de la création qui se met en marche dès la dégustation. » Son cousin, Gaël Machet, est producteur de Beaufort à l’Alpage de Ritord situé dans le massif de la Vanoise. À la force des bras, il produit jusqu’à cinq meules par jour. Sa passion, son savoir-faire, de la traite à l’affinage, le bien-être des vaches qui pâturent paisiblement au coeur d’un écrin de verdure, la recette ancestrale suivie à l’instinct plus qu’à la lettre, mais aussi le goût du terroir, rendent la qualité de son Beaufort exceptionnelle.

Côté Beaufort ou côté cuisine, pour Julien Machet, la famille est sacrée. Bercé par la cuisine généreuse de Mado, sa grand-mère italienne, il a été très tôt attiré par le monde des fourneaux. Emerveillé par la convivialité et la joie générées par les bons plats de famille, c’est après un début de carrière dans l’agriculture en montagne qu’il s’investit en 1991 au sein de la crêperie ouverte par son père dans la petite station de ski de la Tania, tout près de Courchevel. Autochtone et proche de ses racines savoyardes, c’est en 2003 qu’il fait le pari osé de transformer sa carte et de prendre une direction gastronomique. Après quelques années où volonté rime avec difficulté, la récompense tombe comme un premier accomplissement avec une étoile décernée par le guide rouge en 2006. Dès l’année suivante, Julien et son équipe s’organisent, chaque rouage à sa place entraînant l’autre, et la machine se met en route. Dorénavant, le chef peut à nouveau prendre le temps d’être chaque jour au coeur de cette nature environnante qui l’inspire, et surtout d’échanger avec les producteurs qu’il rencontre quotidiennement. « Cuisiner aujourd’hui, c’est être proche de la matière à sa source, c’est renforcer les liens humains, c’est se souvenir que les recettes restent quand les gens s’en vont, c’est respecter le savoir-faire des producteurs et imaginer, créer, en partant de cela. »

Restaurant Le Farçon
La Perrière
73125 La Tania
04 79 08 80 34
www.lefarcon.fr

La Cuisine des Herbes Sauvages
[Jean Sulpice, restaurant Jean Sulpice**, Val Thorens]

« Pour valoriser un produit, la plus belle manière à mon sens est simplement de l’observer dans son environnement, de connaître son histoire et de ne jamais chercher à contrarier la nature. »

C’est à Aix-Les-Bains qu’est né Jean Sulpice. Issu d’une famille de restaurateurs il se passionne très tôt pour la cuisine et le monde de la gastronomie. En apprentissage, il choisit de faire ses armes chez de grands chefs, dont Marc Veyrat, l’emblématique Savoyard. Ce passage chez le cuisinier très proche de la nature, à la renommée internationale, aura une influence déterminante sur sa propre carrière. Arrivé à Val Thorens en 2002, plus haute station de ski d’Europe à 2 300 mètres d’altitude, pour n’y passer qu’une saison d’hiver, il s’y installe finalement en 2002, avec sa femme Magali. Progressivement mais sûrement, il réussit son pari un peu fou d’installer une gastronomie signature sur les sommets enneigés. Audace et talent récompensés par deux étoiles au guide Michelin, bien accrochées depuis 2010.

« Je veux travailler avec ce qui m’entoure. L’inspiration vient par les vibrations, les rencontres, les paysages dans lesquels chacun évolue. L’émotion ne peut s’exprimer dans l’assiette que s’y l’on y amène sa personnalité comme valeur ajoutée. Moi, je suis ému de croiser une biche dans les bois en ramassant des myrtilles, aussi, l’association de deux goûts ne peut donc que fonctionner s’ils sont proches dans la nature. De nombreux exemples vont dans ce sens. » L’oxalis, la bourrache, l’ail des ours, la berce, les orties, la reine des prés, la livèche, le serpolet, le carvi, l’achillée millefeuille, l’acacia, le sapin et des dizaines d’autres fleurs et plantes sauvages, sont autant de cadeaux offerts par la nature que le chef part ramasser chaque jour pour nourrir sa cuisine mais aussi sa créativité. Si cuisiner à 2 300 mètres engendre quotidiennement des contraintes de taille, comme des difficultés d’approvisionnement en cas de mauvaise météo ou des paramètres physiologiques important à prendre en compte (taux d’humidité dans l’air moins important, ébullition plus rapide, emballages qui explosent à cause de la pression, vin qui vieillit plus vite…), ces expéditions matinales qui l’entraînent à la rencontre de différents végétaux comestibles, au rythme des saisons, participent à la singularité de la cuisine de Jean Sulpice. Une palette de goûts, de sensations singulières en bouche, de puissances aromatiques s’inscrivent sans cesse dans la mémoire sensorielle du chef, et font évoluer ses plats. « Quand j’ai découvert ma passion, je suis devenu un homme heureux. »

Le chef fait véritablement corps avec ses produits. Ce créateur d’émotions, hyperactif, travaille chaque jour en symbiose totale avec cette montagne qu’il a pour perspective. Il ne vit pas pour autant en vase clos, perdu tout là-haut, comme on pourrait le penser. Il s’informe, voyage, et s’attelle à comprendre les nouvelles tendances tout en gardant sa propre ligne de conduite. Bien qu’adepte des herbes et des plantes sauvages, il n’entre par exemple pas dans la course à la phytothérapie, les tendances « healthy », « veggies ». Il préfère rester dans la notion de découverte et de plaisir pour le client. Pour lui, bien manger c’est s’asseoir à table, se faire du bien, se ressourcer et venir chercher du bien-être. Pour cela, toutes les ressources nécessaires se trouvent à portée de main, dans cette nature vivante et environnante qu’il faut connaître par coeur et écouter attentivement. Une nature qui l’émerveille encore chaque jour.

Restaurant Jean Sulpice
73440 Saint-Martin-de-Belleville
04 79 40 00 71

www.jeansulpice.com

Bibliographie : L’Assiette Sauvage (Le Cherche Midi), Jean Sulpice avec la collaboration de Stéphane Meyer. Photos : Franck Juery.

La Cuisine des Trois Lacs
[Laurent Petit, restaurant Le Clos des Sens**, Annecy-le-Vieux]

« Avec une situation géographique comme la nôtre, au coeur de l’Annecy sauvage et végétale, inutile d’aller chercher loin des produits de qualité que l’on peut avoir sur place. Je travaille uniquement avec des ressources issues d’un rayon d’une centaine de kilomètres autour du restaurant. Je suis un locavore assumé qui veut proposer une cuisine qui ressemble à mon éthique avant tout. »

 

Autodidacte et anti-conventionnel, Laurent Petit, est à la tête d’un restaurant doublement étoilé, Le Clos des sens, mais aussi de deux établissements bistronomiques à Annecy. Depuis son installation à l’âge de 24 ans, il mène sa carrière de chef avec passion et singularité. Aussi chauvin qu’un autochtone, l’artisan culinaire est pourtant originaire de Langres en Haute-Marne, région boisée par excellence, où il a grandi près de la nature. Après un parcours dans lequel il fait un tour de France de maisons étoilées pour mener à bien différents stages, c’est auprès de Michel Guérard que lui vient la forte envie de mener sa propre carrière de cuisinier. Sa « toque éthique » ancylevienne, comme il aime l’appeler, le chef la doit a une envie de cuisiner avec des valeurs nouvelles, comme l’échange, la solidarité, mais aussi à une prise de conscience écologique qui a radicalement changé sa vie, sa façon de travailler.

« Le 2 mars 2015, à cinquante ans, j’ai fait mon cooking-out. » Du jour au lendemain, ce chef hors norme a décidé de mettre en application ses convictions, les valeurs qui lui sont propres et de s’impliquer différemment dans la restauration : il ne veut plus seulement vendre des repas mais faire découvrir à ses clients une autre façon d’aller au restaurant, en se laissant guider par lui, tel un chef d’orchestre qui compose sa symphonie avec des produits de saison, d’exception, et de proximité. Pour créer sa propre gastronomie « lacustre et végétale », il épure sa carte en retirant notamment les homards, les poissons de mer, le caviar, mais aussi le foie gras et la viande en général. Un pari osé qui porte finalement ses fruits est en marche, celui de travailler toute l’année les poissons et les fruits du lac, avec pour contrainte le respect des strictes réglementations de pêche imposées différemment dans les trois lacs (lac du Bourget, lac d’Annecy et lac Léman), et avec la complicité indispensable d’une poignée de pêcheurs locaux.

Au Clos des Sens, les menus sont donc composés de féra, de brochet, de moules zébrées de lac, de corticales, de perche, de boya, d’omble-chevalier, de truite, d’écrevisses… Autant de mets prélevés chaque jour dans le cadre d’une pêche responsable, dans des eaux douces et pures, et relevés par des herbes aromatiques cultivées dans le jardin de la maison. Cette décision, sous forme de révélation, de supprimer les curseurs commerciaux et historiques d’une carte gastronomique, tel que le homard ou le fois gras, des mets considérés comme « noble » ou « de luxe », répond finalement à une véritable attente. « Je crois que c’est l’imagination d’un chef qui rend un produit noble, et non pas sa rareté ou son prestige. » Cela a permis à la carrière du chef Laurent Petit de prendre le plus important des virages : celui de devenir un artisan culinaire du bonheur.

Le Clos des Sens
13 rue Jean Mermoz
74940 Annecy-le-Vieux
04 50 23 07 90
www.closdessens.com

Balade Montagnarde [triptyque étoilé dans les Alpes]

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